Terry Gardner

Une nouvelle vie

En début 2004, je me suis levé à 5h30 du matin pour me préparer pour aller travailler, comme tout autre matin. Mais lorsque j’ai regardé dans le miroir, les choses étaient loin d’être normales : je ne me voyais plus ! Tout était flou. Je pouvoir voir la couleur de ma peau mais je ne voyais plus mes traits. J’ai fait ma toilette et me suis habillé, mais je ne voyais toujours pas bien. Que faire?

J’ai déjà eu des problèmes de la vue par le passé. Différents médicaments ou procédures médicales avaient réglé la plupart d’entre eux. Je suis donc parti travailler en espérant que ça irait mieux, et que je retrouverais la vue.

À l’époque, j’étais propriétaire exploitant d’un fourgon de livraison et j’avais passé deux ans et demi à travailler avec une compagnie de messagerie. Avant cela, j’avais travaillé pour une entreprise nationale de transport à titre de cadre intermédiaire pendant 23 ans.

Une fois arrivé au travail, j’ai commencé par trier mes factures de livraison. J’avais beaucoup de mal à voir les lettres mais j’ai quand même réussi à faire ma paperasse. Il fallait ensuite s’occuper des factures de fret, ce qui m’a posé des problèmes semblables. J’ai discrètement demandé à différents travailleurs dans l’entrepôt de me donner les noms et adresses, tout en essayant de cacher mon problème. J’ai éventuellement pris la route, mais j’ai passé une journée bien difficile. J’ai livré des paquets à la mauvaise adresse, et j’ai fait signer les mauvaises factures plus souvent que jamais auparavant.

Le lendemain j’ai emmené ma fille pour qu’elle puisse être mes yeux. Cependant, je n’avais pas le droit de transporter de passagers et j’attirais trop d’attention. J’ai raconté quelques histoires et j’ai réussi à la garder avec moi, puisque sans son aide, les choses n’allaient pas du tout.

Nous avons passé les 3 prochaines semaines ainsi. Pendant cette période, j’ai rencontré mon opthalmologue, qui m’a annoncé une mauvaise nouvelle. J’étais atteint de glaucome, et je ne verrais plus ! Il voulait m’envoyer à Halifax dès que possible pour obtenir un second avis. Cela devait se produire en septembre. Le 29 août, j’ai éteint le moteur de mon fourgon pour la dernière fois, en poussant un grand soupir de soulagement.

La semaine d’après, je suis allée à Halifax pour consulter le spécialiste, qui m’a confirmé le diagnostic de l’opthalmologue. Il m’a dit que pour des raisons qui demeurent inconnues, une personne sur quatre ou cinq millions contracte un glaucome, et que j’étais parmi ces rares personnes.

C’est ainsi que j’ai vu la chose : je savais que je ne pourrais pas reprendre mon ancien travail, et qu’à 46 ans, les choix qui s’offraient à moi étaient limités, mais j’ai décidé de ne pas me décourager.

Les 3 prochains mois jusqu'à Noël étaient remplis de décisions d’affaires et de paperasse – vendre mon entreprise, remplir des formulaires d’assurance avec l’aide de mon épouse, et toutes sortes d’activités du temps des Fêtes. Je n’ai pas vraiment eu la chance de réfléchir aux effets de ma cécité future.

Lorsque je suis devenu aveugle, j’étais rendu à un stade de vie auquel aspirent bien des gens de la classe moyenne – l’hypothèque était payée, j’avais un camion, mon épouse avait une voiture, et nous avions commencé à mettre un peu d’argent de côté pour la retraite. Mais tout cela devait maintenant changer.

J’avais l’impression d’avoir tout perdu – mon estime de soi, mon autonomie, mon amour-propre, mon sentiment d’être utile. Je me sentais bien seul. Auparavant, c’était vers moi que les gens se tournaient pour demander des conseils, qu’il s’agissait de problèmes financiers ou de chômage, et même pour demander des conseils matrimoniaux. Je ne savais plus qui j’étais ! Au début, je pensais pouvoir bien gérer la situation, mais je n’avais pas compris à quel point ce serait difficile. Lors de ma première réunion de soutien par les pairs, on nous a demandé de dire notre nom et de parler un peu de nous-mêmes. Je ne pouvais même pas prononcer mon nom. J’ai pleuré. Je n’arrivais pas à dire quoi que ce soit.

Trois ans après avoir perdu ma vue, j’ai décidé que je ne pouvais plus attendre que quelqu’un vienne à ma rescousse. Je me suis inscris à un camp pour les adultes aveugles qui devait avoir lieu au mois d’août. Je voulais simplement parler à quelqu’un d’autre ayant perdu la vue, juste pour voir ce qui m’attendait.

Pendant cette semaine, j’ai fait toutes sortes de nouveaux amis, des gens qui demeurent jusqu’aujourd’hui de bons amis. J’ai participé à de nombreux différents événements sociaux et sportifs, et je me sentais bien pour la première fois depuis longtemps.

Peu après mon arrivée, j’ai reçu un courriel m’invitant à participer à un camp d’entraînement de triathlon à Muskoka pour les athlètes ayant une déficience visuelle. Même sans avoir fait de triathlon, et sans aucune expérience sportive, j’ai décidé de tenter ma chance. J’ai demandé à un ami que j’avais rencontré au camp pour les aveugles d’y aller aussi, et il a accepté. Nous sommes donc allés ensemble. On nous a donné un programme d’entraînement à suivre pendant l’hiver, pour nous préparer pour notre premier triathlon à Muskoka en juillet. J’aime bien dire que cette opportunité était le début du prochain stade de ma vie. J’ai continué à participer au triathlon. Notre équipe nationale d’athlètes, tous aveugles ou ayant une déficience visuelle, s’appelle « Won with One » (Tous pour un) Nous continuons à nous appuyer les uns les autres et grâce au programme, j’ai pu visiter des endroits comme la ville de New York, où je ne serais probablement jamais allé autrement. En plus de mes courses de triathlon, je participe maintenant à la défense des droits et intérêts des personnes ayant déficiences visuelles. Je peux maintenant me qualifier de président, vice-président, membre du conseil, membre de plusieurs comités, conférencier, et d’abord et avant tout, mentor pour mes pairs.